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25/02/2021

Ils soutiennent Auxilia - Sylvain Lhuissier

Un regard neuf sur l’avenir de nos prisons

Jeune entrepreneur social, diplômé de l’École centrale de Paris, c’est lors de ses études dans cette prestigieuse école d’ingénieurs que Sylvain Lhuissier a connu le monde carcéral : il a participé, au sein du Génépi, à du soutien scolaire dans la Maison d’Arrêt de Fresnes (Val-de-Marne).

Très sensible au sort des détenus, il a écrit l’ouvrage « Décarcérer : cachez cette prison que je ne saurais voir », un livre sans concession qui trace le portrait précis de notre système carcéral, mais qui, plus encore, propose des pistes innovantes pour trouver des alternatives à l’enfermement.

Nous vous invitons à lire cette interview passionnante qui vous permettra de découvrir les idées pleines d’espoir de Sylvain Lhuissier.

 

INTERVIEW

Par Stéphane, Auxilia une nouvelle chance

 

Bonjour Sylvain. Comment avez-vous découvert l’univers carcéral ? Quelles ont été vos impressions quand vous avez franchi les portes d’une prison pour la première fois ? Aviez-vous une appréhension ?

J’ai découvert l’univers carcéral grâce au Genepi, une association étudiante qui encourageait les étudiants à pousser la porte des prisons pour aller animer des ateliers ou faire du soutien scolaire en détention. J’étais alors étudiant en école d’ingénieur dans le sud de l’Île-de-France et je suis allé chaque semaine pendant 2 ans à la maison d’arrêt de Fresnes, dans le Val-de-Marne). Ma sensibilité au sujet vient peut-être du fait que, quand j’étais enfant, nous étions souvent gardés par une personne, amie de mes parents, qui avait fait plusieurs années de prison. Je crois que j’ai pris tôt conscience des dégâts que la prison pouvait faire sur un homme, mais aussi, c’est un peu bête, que l’on pouvait avoir fait de la prison et être profondément gentil.

Qu’est-ce qui vous a motivé pour créer l’association Possible ? Quels en sont les objectifs ?

Quand on est jeune et qu’on a la chance de pouvoir le faire, on se cherche un peu : qu’est-ce que j’aimerais vraiment faire dans la vie ? Qu’est-ce que j’aimerais vraiment faire de ma vie ? À quoi ou à qui je peux être utile et comment je peux m’amuser dans ce que je fais ? Assez vite, je me suis rendu compte que, en dépit de ma formation, je n’avais pas envie de construire des grandes tours, des voies ferrées... ou alors des ponts, mais pas en béton ni en métal. C’est alors que j’ai eu la chance de croiser l’univers de l’entrepreneuriat social, un mouvement qui démarrait tout juste avec des personnes qui faisaient le choix étrange d’entreprendre non pas pour maximiser leurs bénéfices, mais pour maximiser l’impact positif qu’ils peuvent avoir sur le monde. J’ai embarqué une camarade de promotion, Agathe Zebrowski, et ensemble nous avons créé Chantiers-Passerelles, qui est devenue plus tard l’association Possible. Le but initial de l’association était de développer le travail d’intérêt général (TIG) : c’est une alternative humaine et efficace aux courtes peines de prison mais qui est mal connue et trop peu utilisée. Nous avons organisé des actions pour promouvoir le TIG et pour soutenir les structures qui acceptent d’accueillir des personnes en travail d’intérêt général. Quatre années après la création de l’association, le Ministère de la Justice a décidé de créer une agence pour développer le travail d’intérêt général, mais aussi le travail et la formation en prison : l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle. En décembre 2018, j’ai choisi de quitter l’association Possible pour participer à la mise en place de cette Agence, où je travaille aujourd’hui.

Grâce à l’énergie et à l’engagement de sa directrice Léa Grujon et de ses bénévoles, l’association a poursuivi sa route sous le nom de Possible. Elle mène aujourd’hui un formidable travail d’interpellation citoyenne et de sensibilisation sur les questions carcérales avec des formats très dynamiques d’« Apéro-Justice ». Elle aide aussi les citoyens à passer à l’action et à monter des projets pour la réinsertion des personnes condamnées grâce à un super programme d’accompagnement qui s’appelle Act'ice. J’espère qu’Auxilia aura l’occasion d’aller les interviewer !

Pourquoi avoir écrit le livre « Décarcérer » ? À qui s’adresse-t-il ?

J’ai écrit « Décarcérer » parce que ce projet m’a intéressé. Le directeur de la collection « Les Incisives », Vincent Edin, m’a appelé pour me dire : « On veut faire un livre court, percutant, engagé sur l’enfermement et les alternatives, tu penses à quelqu’un qui pourrait l’écrire ? » Je lui ai répondu : « Oui, moi ! ». Le défi m’intéressait, les premiers livres sortis dans cette collection étaient excellents et inspirants. Et surtout, je savais exactement ce que je voulais écrire : ça faisait 7 ans que je rabâchais mon indignation contre le système carcéral à mes proches. En le couchant sur le papier, je leur laisserais un peu la paix !

Le livre s’adresse à tous, sauf peut-être aux spécialistes qui connaissent déjà bien tout ce que j’y écris. Il s’adresse à celles et ceux qui pensent que la prison c’est le Club Méd', que la prison c’est fait pour les criminels ou encore que la prison permet de protéger la société. Je sais le courage que ça demande, mais j’aimerais vraiment les inviter à confronter leurs opinions avec ce livre. Il s’adresse aussi à celles et ceux qui pensent que notre système carcéral ne tourne pas tout à fait rond, qui ont entendu parler de surpopulation carcérale ou du taux de 59 % de re-condamnation en sortie de prison. A celles et ceux qui se disent qu’on devrait pouvoir faire mieux, mais qui ne savent pas comment. A celles et ceux qui se retrouvent toujours à court d’arguments, dans un dîner en famille ou un débat entre amis, lorsqu’on leur oppose, pour défendre la prison, le laxisme, le besoin de punir, les meurtres et les viols atroces.

À votre avis quel est l’avenir de la prison française ? Quelles seraient les mesures urgentes à mettre en place pour aller vers une prison qui ait plus de sens ?

Je pense que la prison est entravée par deux choses : la surpopulation carcérale et l’absence d’un réel projet pour la réinsertion des personnes détenues. La surpopulation carcérale est une plaie pour les personnes détenues comme pour toutes les personnes qui travaillent en prison. On pourrait régler ce problème assez simplement en instaurant un numerus clausus : si une nouvelle personne doit entrer en prison alors que celle-ci est pleine, une autre doit sortir. Cela passerait nécessairement par une réduction des courtes peines de prison, qui sont ultra-majoritaires et ne servent le plus souvent à rien. Chaque année, plus de 90 000 peines de prison de moins de 6 mois sont prononcées et la durée moyenne d’un passage en prison est d’environ 9 mois. Cela passerait également par une moins grande utilisation de la détention provisoire : le fait d’enfermer une personne par précaution dans l’attente de son jugement.

La crise sanitaire a permis une démonstration intéressante : en l’espace de 2 mois, la population carcérale a été réduite de presque 20 %, passant de 72 000 personnes détenues en mars à 59 000 en mai. Cela a été possible grâce à des libérations anticipées des personnes en fin de peine, et on n’a pas assisté à une vague de criminalité. Ce que la crise sanitaire a permis, le droit devrait le prévoir.

La question du projet de fond des établissements pénitentiaires est un point plus complexe. Aujourd’hui, la principale mission des prisons est de surveiller, de s’assurer que la personne ne s’évade pas, de protéger le personnel et les détenus de tout danger. Résoudre la question du projet est secondaire : que veut-on que la personne apprenne pendant la détention ? Comment veut-on qu’elle ressorte de prison ? C’est une vraie question de société et de sécurité : veut-on que la personne détenue ressorte avec plus de risques ou moins de risques de récidiver que si elle n’était pas allée en prison ? Et où est le projet de la personne détenue, ce qu’elle-même veut apprendre pendant la détention, comment elle compte préparer sa sortie ?... Cette question est carrément tertiaire ! Pourtant c’est le nœud du problème et c’est là-dessus que les moyens devraient être concentrés : sur l’enseignement, sur la formation, sur le travail, sur l’acquisition de savoir-faire et de savoir-être, sur le respect et la vie en collectif.

Quels sont vos projets pour les mois à venir ?

Je poursuis mon engagement au sein de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle. Il y a beaucoup à faire pour développer cette belle alternative à l’emprisonnement, mais aussi pour muscler le contenu de la peine en matière d’insertion professionnelle : il faut développer la formation professionnelle, il faut revaloriser le travail des personnes détenues et il faut créer des véritables parcours d’insertion !

Merci beaucoup pour cette interview, c’est un honneur pour Auxilia. En conclusion, quels messages aimeriez-vous laisser aux formateurs bénévoles d’Auxilia ?

D’abord que l’honneur est pour moi ! Ensuite que je suis admiratif du travail mené par Auxilia. Je l’ai mentionné très modestement dans « Décarcérer », mais il n’y avait pas de place pour décrire la diversité des actions et des engagements, des associations comme des professionnels, qui permettent d’apporter du sens, du lien et de l’humanité dans l’exécution de la peine. Je suis toujours d’autant plus admiratif de l’engagement des bénévoles, parce qu’il me semble qu’il faut encore un peu plus de courage, de détermination et d’énergie pour agir auprès des personnes placées sous main de justice que dans d’autres associations de solidarité. J’espère qu’ils poursuivront leur engagement encore longtemps, en ayant toujours beaucoup de joie à le faire.

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