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01/04/2020

Réinsertion temporairement inaccessible

[ INTERVIEW ]

Stéphane A. : l'objectif de réinsertion est inaccessible dans les conditions actuelles

Stéphane A. a été incarcéré à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis fin 2014. Libéré en 2019, il s'emploie à apporter son aide aux détenus via son engagement professionnel au sein de l'association Auxilia EAD (Enseignement à distance). Par ailleurs, il participe chaque semaine à l'émission « Le téléphone du dimanche » sur Radio Notre-Dame pour encourager les personnes incarcérées. Enfin il apporte sa contribution et son témoignage auprès d'associations dévolues à la conditions carcérale telles que Ban Public, l'OIP (Observatoire international des prisons) la FARAPEJ (Fédération des associations réflexion action prison et justice), Le courrier de Bovet, Lire, c'est vivre, etc.

 

Depuis la mise en place du confinement en raison de l'épidémie de COVID-19, on entend ici et là certains se plaindre d'être enfermés « comme dans une prison ». Que vous inspire cette comparaison ?

 

Ces personnes, comme la plupart de nos concitoyens, n'ont aucune idée de ce que signifie la prison. Vivre dans un réduit de 9 m2, parfois à deux, sans compter le mobilier qui occupe une partie de l'espace, ne peut se comparer à la vie dans un appartement, même petit, doté de fenêtres que l'on peut ouvrir à tout moment.

Par ailleurs, le confinement préconisé dans le cadre de cette épidémie n'empêche ni les sorties autorisées, ni les contacts téléphoniques avec ses proches, l'envoi de courriels, les appels par visioconférence, Skype ou Whatsapp, la consultation d'internet, choses absolument impossibles pour les détenus seulement habilités à recevoir du courrier postal. Une possibilité qui dépend du bon vouloir de la Poste qui vient de restreindre son activité comme on peut le constater actuellement.

 

Dans ces conditions, comment vous organisiez-vous pour supporter cette contention ?

 

De la rigueur, avant tout ! Les journées sont rythmées par une routine immuable : réveil vers 6 h le matin, petit déjeuner, puis, pour ceux qui le peuvent, se rendre au travail. Un véritable privilège réservé à une infime minorité. Et les places sont chères : moins de 30 % des détenus travaillent ! Sortir de sa cellule pour se rendre à l'atelier, bénéficier d'une - misérable- rémunération, autant d'avantages inouïs qu'il faut s'employer à préserver. Car le moindre incident peut vous faire renvoyer en cellule! Grâce à mon activité, j'ai pu m'offrir une plaque chauffante bien utile pour réchauffer les plats...

 

En quoi consistait votre travail ?

 

Il s'agissait de trier des bouchons pharmaceutiques. Les bons d'un côté, les défectueux de l'autre. Le tout à un rythme plutôt intensif, en silence, de 7h jusqu'à 13h30 avec une pose de 20 minutes et pour un « salaire » de 200 euros par mois. Le minimum vital pour les détenus, sachant qu'une partie de cette somme est d'autorité mise de côté pour vous être remise à la sortie et pour indemniser les parties civiles.

Il faut de plus compter avec l'indignité des sociétés privées qui trouvent là une main d'oeuvre docile et à bas coût et qui n'hésitent pas à arnaquer les détenus en rognant sur ce salaire de misère. Et pas question de réclamer si vous voulez garder votre place ! Il faut attendre d'être libéré pour réclamer son dû et se préparer à un parcours du combattant qui peut durer des mois ! Tout est fait pour vous dissuader d'agir !

Par bonheur, j'ai pu bénéficier d'une formation qui m'a permis d'obtenir un diplôme d'auxi-bibliothécaire qui a changé le cours de ma détention.

 

A quoi occupiez-vous le reste de la journée?

 

En détention, les journées sont très courtes. Les activités se déroulent entre 15 h et 17 h. Il y a bien sûr les promenades dans la cour, les parloirs, le temps « scolaire » ou la bibliothèque. Il est aussi possible de faire des études à distance, grâce à Auxilia, ce qui permet de retrouver confiance en soi et de se projeter vers l'avenir, même s'il est très difficile d'étudier dans une telle promiscuité : le codétenu qui regarde la télé, les occupants de la cellule voisine qui font hurler la musique à la fenêtre, d'autres qui tapent sur les murs ou poussent des cris, etc.

A 17 h, tout se ferme jusqu'au lendemain matin. Les repas sont distribués à partir de 18 h. Commence ensuite la longue nuit.

 

Quels sont les effets délétères que vous avez pu observer au cours de votre détention ?

 

D'une façon générale, il y a des moments particulièrement stressants pour les détenus, comme par exemple, les jours qui précèdent la tenue du procès.

Pour certains, plus fragiles, la situation est si anxiogène qu'ils se confinent eux-mêmes. J'ai vu ainsi un de mes compagnons s'enfermer volontairement jusqu'à refuser d'aller en promenade. Il est resté pendant quatre ans dans sa cellule sans sortir ! J'ai appris plus tard qu'il avait fait une tentative de suicide... Même chose pour les étrangers isolés qui ne parlent pas le français, pour ceux qui n'ont pas de parloir pour cause d'éloignement, pour les démunis qui n'ont pas les moyens de téléphoner à leurs proches compte tenu du prix scandaleusement élevé des communications lequel peut monter jusqu'à 80 euros par mois, prélevés sur votre pécule! Autant de situations dramatiques qui interrogent sur le sens de la prison. Ce sont des gens brisés qui un jour retourneront dans la société. Pour quel avenir ?

Parfois, un incident a priori anodin peut susciter des troubles et des violences qu'on aurait pu éviter comme en 2015, lors de la canicule. Le règlement exigeait le port de bonnettes et de blouses dans les ateliers malgré la chaleur. Une peu d'humanité et de diplomatie auraient sans doute permis d'éviter les blocages qui ont dégénéré.

 

En quoi la crise que nous vivons, conjuguée avec la surpopulation carcérale risque t-elle d'aggraver la situation ?

 

La suppression des parloirs, des permissions, des promenades, de l'accès à la salle de sport ou à la bibliothèque, de toutes les activités, va peser gravement sur le calme toujours précaire qui règne dans les lieux de détention. La distribution du courrier, si indispensable, est elle aussi perturbée alors même qu'elle est plus que jamais le lien qui relie tous ces oubliés au monde extérieur. Un mot habituellement réservé à la condition animale me vient à l'esprit pour qualifier la situation : cruauté ! Mais nous avons ici affaire à des êtres humains !

La situation est inflammable. Il ne faut perdre de vue que le personnel pénitentiaire est en sous-effectif chronique. La mission qui leur est attribuée, à savoir favoriser la réinsertion, est irréaliste dans les conditions actuelles, a fortiori dès lors que des restrictions viennent encore s'ajouter au chaos suscité par l'épidémie. Ils doivent parer au plus pressé, au détriment des détenus et de leurs propres conditions de travail.

J'espère que cet électrochoc produira des effets positifs et que le regard de nos concitoyens sur l'univers de la prison changera.

 

Propos recueillis par Denise Cabelli, journaliste et bénévole Auxilia

 

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