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11/02/2021

Les bibliothèques de Lire c’est Vivre

Des oasis d’espoir au cœur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis

Une heure par semaine, pouvoir aller à la bibliothèque pour une personne détenue, cela peut sembler peu… Mais cette heure-là est si précieuse en vérité qu’elle est l’heure préférée de nombreux prisonniers. En effet, elle permet de supporter le poids des heures de doutes et d’angoisse du reste de la semaine.

La bibliothèque est attendue avec impatience, car c’est un lieu d’ouverture vers le monde extérieur grâce à la possibilité d’emprunter des romans, des BD ou des documentaires. C’est un lieu d’échanges et de reprise de confiance en soi grâce à des ateliers de création littéraire, des cercles de lecture, des formations sur les métiers du livre.

Un lieu où on ne se sent pas enfermé, un lieu où on se fait des amis, un lieu où les langues se libèrent, où l’on aide aussi un camarade à écrire un courrier, un lieu où l’on revit.

Bernadette Coupechoux, présidente de Lire C’est Vivre, et Mireille Vidal, secrétaire de l’association essonnienne, ont bien voulu nous parler de leur passion pour la lecture, qui les amène aujourd’hui à s’investir bénévolement dans l’univers pénitentiaire, comme de la nature et de l'intérêt de leurs actions.

 

INTERVIEW

 

D’où vient votre passion pour la lecture ?

Bernadette. Dès que j'ai appris à lire, la lecture m'a passionnée. Dans les années de ma jeunesse, passées à la campagne, les distractions étaient rares et les livres étaient la seule ouverture sur le monde extérieur. La bibliothèque de l'école était la source où je puisais les histoires qui me permettaient de m'évader. Je dévorais tout ce qui me tombait sous la main : des romans les plus classiques aux fanzines, en passant par les romans photos que rapportaient mes sœurs aînées.

Cette passion pour les livres et la littérature en particulier ne m’a plus quittée : je suis devenue bibliothécaire à 24 ans et le suis restée jusqu'à ma retraite.

 

Mireille. J'avais l'habitude d'aller chez un oncle qui possédait, dans son appartement sous les toits, une grande bibliothèque où j'adorais me retrouver. Il était lui-même bibliothécaire et j'admirais ses connaissances. Par mes études, j'ai été amenée à lire les classiques et cela me plaisait beaucoup. Plus tard, je suis devenue professeur de lettres. Mais ce qui me passionnait, c'étaient les bibliothèques, leurs rayonnages, les livres qu'on pouvait toucher, parcourir, sentir… et toutes les connaissances qu’on y trouvait. Je suis ensuite devenue professeur documentaliste et j’ai beaucoup aimé former les jeunes à la lecture et à la culture.

Qu’est-ce qui vous a motivées pour participer aux activités de l’association Lire C’est Vivre ?

Bernadette. J'ai été embarquée dans cette aventure par les fondatrices de l'association, bibliothécaires, avec lesquelles je travaillais à Massy (Essonne). La demande était d'animer des cercles de lecture dans les bibliothèques de la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Je le faisais déjà dans le cadre de mon travail, mais le faire pour des personnes détenues prenait une autre dimension et supposait un engagement qui correspondait à mes valeurs. De plus, mon intérêt pour la littérature y trouvait son compte.

Mireille. Quand j'ai pris ma retraite, il m'a semblé évident de m’engager dans du bénévolat. C'est une rencontre avec une ancienne collègue bibliothécaire, adhérente à l'association, qui m'a entraînée à Lire C’est Vivre. J'ai donc commencé à faire des cercles de lecture. Tout m'a plu : l'équipe et les échanges autour de la littérature dans les cercles avec les personnes détenues.

Pourriez-vous nous parler de la création de l’association Lire C’est Vivre ?

En 1986, Geneviève Guilhem, alors conservatrice des bibliothèques à la Bibliothèque départementale de l’Essonne, est missionnée par Robert Badinter, Garde des Sceaux et ministre de la Justice, pour créer les bibliothèques de la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis. Elle fait alors appel aux bibliothécaires de l’Essonne pour l’aider à mettre en place le projet de lecture publique en détention.

Lire C’est Vivre, association loi 1901, est créée l’année suivante, ce qui garantit l’indépendance de son action. Elle est nommée ainsi avec l’autorisation de Pierre Dumayet, qui animait l’émission télévisée du même nom (Ndlr : de 1976 à 1993). Ses missions s’inscrivent dans le cadre des protocoles d’accord entre le ministère de la Culture et le ministère de la Justice. L’article D-441-2 du Code de procédure pénale inscrit l’accès au livre et à la lecture comme un droit de toute personne détenue.

Aujourd’hui, Lire C’est Vivre gère et anime dix bibliothèques à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et au Centre de semi-liberté de Corbeil-Essonnes. L'association est composée d’une équipe de quatre salariées professionnelles des bibliothèques à temps plein, et d’une quinzaine de bénévoles chargées plus spécialement de l'action culturelle.

Quelles différentes activités propose Lire c’est Vivre aux personnes détenues ?

Il y a d’abord les bibliothèques, ouvertes toute la semaine par des auxiliaires de bibliothèque détenus dans l’établissement. Ceux-ci sont formés à leur tâche, quotidiennement, par les salariées de l’association, et une fois par semaine par une journée de formation qualifiante, donnée par l’ABF (Association des bibliothécaires de France).

Ensuite, il y a les cercles de lecture. Depuis l’origine, ils rendent vivantes les bibliothèques et redonnent aux participants l’envie de lire et de partager une expérience de lecture. Chaque semaine, dans sept bibliothèques, un cercle de lecture réunit un groupe de 10 à 12 participants (lecteurs ou pas de la bibliothèque) et un ou deux animateurs. Chaque semaine, ils lisent ensemble à voix haute une œuvre littéraire choisie par l’animateur, comme un feuilleton au fil du temps. Ces moments de lecture alternent avec des moments d’échanges, de réactions, d’impressions, d’images, de souvenirs de la part des participants, suggérés par le texte. On y lit aussi beaucoup de poésie. A la suite de ces lectures, nous proposons souvent des rencontres avec des auteurs, des conférences sur des sujets débattus.

Nous mettons aussi en place des ateliers de création sur cinq jours pendant les vacances scolaires, autour de l’écriture de BD, de poésie, de théâtre, de scenarii, et de la lecture à voix haute.

 

Lire C’est Vivre mène également des actions autour du livre auprès des enfants présents dans les locaux de l’accueil des familles, lors du temps d’attente avant les visites aux parloirs des détenus hommes. Le fait de leur lire des histoires permet de rendre le temps d’attente moins long, mais également de diminuer l’anxiété qu’ils peuvent ressentir avant les visites.

 

Enfin, chaque fin d’année, nous organisons, dans chacune des bibliothèques de la maison d’arrêt, une exposition-vente de livres pour enfants. Nous assurons la présentation des ouvrages choisis à la librairie Chantelivre, la commande, ainsi que l’envoi aux destinataires. Les ouvrages sont emballés et accompagnés d’une carte. L’objectif de cette action est de favoriser le maintien des liens parentaux à travers les livres.

En quoi la lecture est-elle si importante pour les détenus ?

Il n'y a pas de rentabilité immédiate de la culture en général et de la lecture en particulier. Il y a par contre un besoin humain primordial de sens, de compréhension, de perspective. Il y a pour l'homme une nécessité vitale de développer ses capacités émotionnelles, imaginatives et narratives. Il y a aussi un plaisir de lire comme il y a un plaisir d'écouter de la musique ou de regarder un tableau.  La lecture est, pour toutes ces raisons, d'une importance majeure : elle ranime l'intériorité des individus, elle met en mouvement la pensée et stimule l'imagination, mise à mal derrière les barreaux.

Quels changements se sont produits pour vous depuis la crise sanitaire et comment avez-vous réagi pour maintenir votre action ?

Les bibliothèques étant fermées par l'Administration pénitentiaire depuis le début de la crise sanitaire, afin de maintenir un lien avec les personnes détenues, Lire c'est Vivre a décidé de mettre en place un portage de livres en cellule organisé par l'équipe salariée et les auxi-bibliothécaires une fois par mois. Notre association a aussi publié et diffusé une fois par mois une gazette littéraire à l'ensemble des personnes détenues.

Quels sont les projets de Lire c’est Vivre pour les mois à venir ?

L'association a comme priorité la réouverture des bibliothèques fermées depuis mars 2020 et la reprise des actions culturelles en particulier les cercles de lecture et les ateliers. Elle a choisi comme thématique pour 2021-2022 l’Amérique du Nord et les religions. Ces deux thèmes seront déclinés tout au long de l'année dans le choix des livres et dans les différents ateliers et cercles de lecture.

Merci beaucoup pour cette interview. Pour conclure quels messages souhaiteriez-vous laisser aux formateurs bénévoles d’Auxilia ainsi qu’aux apprenants détenus d’Auxilia ?

Il est très important de favoriser par tous les moyens le plaisir de la lecture. C’est un facteur essentiel de réinsertion. Il serait bien que les formateurs bénévoles d'Auxilia incitent leurs apprenants à fréquenter les bibliothèques et favorisent les échanges autour du livre avec eux. Nous conseillons naturellement à tous les apprenants détenus d'Auxilia de s'inscrire et de participer le plus possible aux activités proposées par leur bibliothèque. Ils trouveront là de quoi alimenter leur cursus, mais ils découvriront aussi qu’ils peuvent trouver dans la lecture le plaisir de penser, de stimuler leur désir de créer, de retrouver le sens du possible.

 

Propos recueillis par Stéphane d’Auxilia

 

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