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11/03/2021

Ils soutiennent Auxilia - Farid Boudjellal

Le beau parcours de « Petit Polio »

Farid Boudjellal a été confronté au handicap et à la maladie dès son enfance. Malgré un chemin semé d’embuches, il est devenu un auteur de bande dessinée reconnu grâce notamment à la création du personnage Petit Polio. Sa passion du dessin qu’il transmet maintenant lors d’ateliers en détention, lui a permis de trouver sa voie.

Ce dessinateur a offert à Auxilia un entretien motivant que nous vous invitons à lire.

 

INTERVIEW

Par Stéphane d'Auxilia

 

Bonjour Farid, d’où vient votre passion pour le dessin ? Quel parcours avez-vous effectué pour que cela devienne votre métier ?

Comme beaucoup de mes consœurs et confrères, ma passion pour le dessin remonte à l’enfance. Avec ma famille nous vivions à Toulon dans des conditions précaires. Un seul livre entrait dans la maison, un illustré appelé Kiwi avec les aventures de Blek le Roc, un trappeur dans l’Amérique du 18ème siècle, que mon père adorait. Je le feuilletais allègrement avant même de savoir lire et je parvenais à en comprendre le contenu. Je recopiais les images jusqu’à les connaître par cœur. Par la suite je me suis tourné vers une bande dessinée d’auteur tout en gardant une grande admiration pour ces auteurs anonymes qui œuvraient laborieusement pour que nos illustrés préférés soient dans les kiosques à l’heure dite. De 40 à 100 pages par mois, quelle prouesse. Il n’y a guère que les mangaka, qui travaillent en studio, qui produisent autant aujourd’hui. Pour l’anecdote, j’ai travaillé pendant 2 années pour les mangas.

Nos lecteurs très sensibles au thème du handicap seraient intéressés que vous leur racontiez la genèse de la bande dessinée Petit Polio ?

On ne parle bien que de ce qu’on connait bien. J’ai eu la poliomyélite à l’âge de 8 mois. Cependant, Petit Polio s’appelle Mahmoud et moi Farid. Je ne voulais pas être seulement autobiographique et laisser une grande place à l’imagination. Mais n’en dit-on pas plus en livrant son imaginaire que des bribes de sa vie ? En 1997, date de réalisation de l’album « Petit Polio », mes deux territoires de prédilection étaient en crise. Toulon, ma ville natale était occupée par un Maire FN et l’Algérie mon pays d’origine subissait sa décennie noire parsemée d’attentats. En qualité d’auteur comment me situer dans ce contexte ? Il m’est apparu que le point commun entre les deux crises était la guerre d’Algérie et je me suis souvenu qu’à l’époque j’étais un petit algérien handicapé. Curieusement malgré la gravité du propos, les deux premiers Petit Polio étaient plutôt ludiques dans la réalisation. Si je pouvais retrouver cette veine, j’en serais ravi…

Vous avez dû affronter la maladie dès votre plus jeune âge (poliomyélite et asthme). Où avez-vous trouvé cette énergie incroyable qui vous a permis de réaliser vos projets ?

Être handicapé c’est avant tout être dans l’effort permanent, chose commune à tous les handicapés. L’effort pour marcher, parfois pour respirer, pour rire, pour aimer… Quand on est dans ces dispositions, on n’a pas le temps de se plaindre et de s’attendrir sur son handicap que, personnellement, je n’ai jamais pris très au sérieux. Mais il ne s’agit pas d’une règle. Chacun gère son handicap avec ses propres ressources.

Vous proposez des ateliers de BD en détention. Pourquoi ce choix de transmettre votre art à des personnes détenues ?

C’est en réalisant le guide pour les détenus que j’ai connu le milieu carcéral qui m’a naturellement intéressé. Comme j’animais beaucoup d’interventions en milieux scolaires, et dans les centres sociaux… j’ai accepté au début avec appréhension un atelier BD à Fleury-Mérogis. L’appréhension est vite tombée pour laisser la place au professionnalisme. Ce que j’aime en milieu carcéral c’est que rien n’est tiède. Les histoires réalisées par chacun des intervenants correspondent toutes sans exception à une nécessité. La nécessité de retrouver un passé paisible ; la nécessité de se projeter dans un futur rêvé ; le dessin comme une thérapie d’espérance.   

Comment se passent vos ateliers BD en prison ?

Des sessions de 5 jours matin et après-midi, du lundi au vendredi. Je commence par me présenter à travers mon travail ce qui est bien pratique et nous passons directement à l’élaboration du magazine. Les participants commencent par dessiner ce qu’ils veulent, dans une totale liberté. Je leur demande d’écrire également au moins un mot. C’est dans la discussion avec chacun, que peu à peu une histoire nait. D’abord le découpage afin de déterminer le nombre de pages, puis le crayonné et l’encrage final. Parfois, mais rarement, la couleur. Nous ne disposons que de 4 journées pour monter la revue. C’est d’autant plus court que le dernier jour est consacré, le matin à monter l’exposition et l’après-midi à la restitution ou au vernissage.

En quoi le dessin est-il si important pour les détenus ?

Il me semble que la détention plonge détenus et personnel de Fleury dans un état d’immédiateté. Quand un participant, qui souvent n’a plus dessiné depuis sa prime enfance, reprend du service, c’est d’abord un voyage dans le passé. Il retrouve son style tel qu’il l’avait laissé quand il l’a abandonné. Beaucoup ont l’impression de régresser, mais ils rattrapent le temps perdu à une vitesse folle qui me surprend toujours. Ils dessinent leurs rêves et les rêves appartiennent au futur.

N’est-ce pas un grand luxe dans ces lieux d’envisager le futur. Le dessin est à la fois un voyage dans le temps, une introspection, une communication, un hommage aux ancêtres, car nous sommes tributaires des anciens qui nous ont donné des outils qu’à notre tour nous transmettrons. C’est aussi et peut-être surtout, un agréable passe-temps ce qui n’est pas si mal, finalement.

Quels sont vos projets pour les mois à venir ?

Je réalise depuis quelques années déjà avec un album sur le passage de la grande diva égyptienne, Oum Kalsoum à l’Olympia en 1967 en collaboration avec Martine Lagardette qui anime aussi des ateliers écriture à Fleury. Comme quoi Fleury mène à tout

Merci beaucoup Farid pour cette interview. C’est un honneur pour nous. Pour conclure quels messages aimeriez-vous laisser aux bénéficiaires Auxilia ainsi qu’aux formateurs bénévoles ?

En cette période de pandémie, de confinement, nous devrions tous être solidaires des détenus. Ce que nous vivons devrait nous aider à mieux saisir ce qu’est la détention. Nous avons connu les autorisations de sortie, le couvre-feu, l’impossibilité de voir nos familles. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles j’anime ces ateliers. Le monde carcéral appartient au citoyen et il est bon qu’il s’en soucie.

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