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18/03/2021

Ils soutiennent Auxilia - Philippe CRASH

Crédit photo centrale ©Philippe Mondon

De la détention à la création artistique

Quand j’ai découvert les sculptures de Philippe sur sa page Instagram, j’ai été émerveillé par son art pour redonner vie à des objets rouillés. Ses animaux fabuleux, nés de métaux cabossés, m’ont marqué car ils nous invitent dans un univers particulièrement poétique et surtout symbolisent le parcours d’un détenu en reconstruction.

Je suis heureux de vous présenter un ancien prisonnier devenu artiste du recyclage. Philippe Crash nous montre avec talent qu’il est possible de reprendre sa vie en main après l’épreuve de l’incarcération.

 

INTERVIEW

par Stéphane d'Auxilia

 

 

 

Bonjour Philippe. D’où vient ta passion pour la création artistique et plus particulièrement pour la sculpture ?

Aussi loin que je m’en souvienne je dessinais  mes personnages de BD préférés, surtout Snoopy, Garfield, Spiderman, ainsi que les emblèmes des équipes de hockey sur glace que je supportais. J’ai vécu les douze premières années de ma vie au Canada où ce sport est religion ! Ensuite, autour de mes quinze ans, en allant à l’école, je suis tombé sur l’installation du « Centaure » de César place de la Croix-Rouge à Paris. J’ai été fasciné par cette œuvre monumentale, je me souviens  avoir séché les cours ce matin-là, ébahi par ce qui était possible. Malgré cela je n’ai pas cherché à devenir artiste pour diverses raisons que j’aurai à chercher un jour avec mon psy (rires). Bien plus tard j’ai eu comme envie de créer des lampes métalliques à base de matériaux de récupération, mais dans mon esprit cela ne pouvait ni remplir la gamelle, ni payer le loyer.
Arrivé en prison j’ai commencé à me poser beaucoup de questions : où ai-je perdu le sens de ma vie ? qu’est-ce que j’ai bien pu louper ? pourquoi étais-je si rempli de colère ? que pourrais-je bien faire à ma sortie ? de quoi ai-je réellement envie ? ... Et c’est à la lecture de « Vers la sobriété heureuse » de Pierre Rabhi que j’ai trouvé quelques pistes pour un avenir meilleur. Deux choses me sont apparues essentielles : un environnement naturel avec la production d’une nourriture de qualité dans des conditions respectueuses de notre planète et un passe-temps où je pourrais m’épanouir. La sculpture est alors devenue une évidence et je me suis promis qu’à ma sortie je m’y consacrerai. J’ai tenu ma promesse et je me sens bien !

Ton art du recyclage est vraiment symbolique et plein d’espoir, car tu nous montres qu’un objet cabossé peut retrouver une seconde vie. Finalement n’est ce pas un peu ton histoire ?

Oui, c’est juste. Cependant je n’avais pas pensé à leur côté cabossé ; j’y vois la rouille comme une symbolique : avant le retour à la poussière et la fin inéluctable, on peut générer de la beauté, de la poésie et une forme d’ultime essence. Les métaphores ne manquent pas. Mais en effet, j’essaye de retravailler chaque pièce le moins possible et c’est ainsi qu’une barre de fer tordue devient squelette d’éléphant, qu’un vieux râteau devient caribou... En tout cas, je vois bien souvent dans une pièce de ferraille vouée à la déchèterie une autre vie possible. Vais-je retrouver une autre vie après avoir été aussi cabossé ? Je l’espère ! Je doute encore, mais tout espoir est permis.

Qu’est-ce qui t’a permis de garder le moral pendant ta détention ?

Mais qu’est-ce qui te fait penser que j’ai gardé le moral en détention (sourire) ? Je parlerai plutôt de l’espoir, de cette singulière force de survie qui est en nous.
Cela dit, le moral je ne l’ai en effet jamais complètement perdu, et ce grâce aux différents intervenants extérieurs qui donnaient de leur temps pour nous apporter un peu de joie, pour nous aider à trouver au fond de nous ce petit je ne sais quoi d’envie. Je pense aux groupes de musique qui viennent donner un concert, à Sylvie, Judith, Jean-Pierre... qui nous ont menés dans les voies de la création théâtrale, littéraire et poétique. Je pense à Marion qui nous a fait découvrir le yoga. Je pense à Madame T. et Madame B. de Auxilia qui m’ont offert du temps et de l’énergie pour l’apprentissage du droit et de l’espagnol, et même juste de l’humanité quand j’ai laissé tomber le droit. Je pense à Bernard mon visiteur de prison qui est venu bien des mercredis me rendre visite et m’apporter de l’air frais du dehors. Et il y en a certainement beaucoup d’autres que j’oublie, honte à moi ! Merci à eux tous, merci à ceux que j’oublie et merci à Romain de Fresnes qui fait un travail formidable pour nous apporter sans cesse de nouvelles activités toujours enrichissantes.
Je dois aussi remercier quelques « potos » (Ndlr : co-détenus devenus potes) qui ont été d’un soutien moral énorme dans les moments les plus cruciaux. J’espère qu’ils se reconnaîtront. Je pense à vous les gars.

Nombreuses sont tes sculptures qui représentent des animaux. Pourquoi ce choix ?

Le hasard, je pense. Ma première pièce, la vache/chèvre vient d’une binette. J’y ai vu une tête de vache africaine et c’est autour de cette idée qu’elle est née. Pour moi c’est une vache, mais tant de gens y voient une chèvre... En même temps, à Moyembrie (Ndlr : dans l’Aisne, cette ferme est un lieu de vie et de travail où une vingtaine de personnes détenues se reconstruisent après la prison) où j’ai commencé à sculpter, les chèvres font partie intégrante de la vie de la ferme (qui fabrique un excellent fromage à recommander !). Alors va pour la chèvre ! Ensuite d’autres animaux me sont apparus : le corps du teckel, la tête du caribou, les ailes de l’oiseau, les oreilles de l’éléphant... C’est aussi peut-être mon esprit un peu puéril ou encore juste une envie de plus de nature, voire la vieille réminiscence du Centaure de César... Qui sait ? Tu crois que c’est grave docteur ? (rires). En y repensant, il y a peut-être aussi un peu de facilité. Ou au contraire c’est un entraînement pour arriver à faire des œuvres quasi monumentales comme je rêve de faire après avoir vu les « Machines de l’Île » de Nantes. Le côté mignon et anecdotique me plaît bien en tout cas.

Quels sont tes projets artistiques pour les mois à venir ?

Tout d’abord je dois trouver une nouvelle prise de masse et un nouveau porte-électrode (Ndlr : outils de soudage) ! Je les ai perdus en déménageant et depuis deux mois je suis complètement coincé. Mais j’ai deux ou trois pièces à terminer (une tortue issue d’une brouette renversée, un très lourd lampadaire - non animal, lui… - et j’ai le projet d’un arbre rouille qui sera sans doute assez encombrant ! J’ai aussi tout un stock de ferraille qui ne demande qu’à vivre une nouvelle vie. Ensuite, il faut que cette saleté de virus nous fiche un peu la paix pour remettre à l’ordre du jour une expo qui était prévue à l’Escal à Laon, dans l’Aisne. Mais je crois que l’été devra céder la place à l’automne pour que les choses puissent un peu avancer. J’aimerais aussi arriver à travailler en collaboration avec d’autres artistes comme la peintre Marie Désert et le tailleur de pierre Pierre-Olivier Capello dont j’adore le travail. Enfin, les envies ne manquent pas !

Merci d’avoir répondu aux questions d’Auxilia. Nous en sommes très honorés. Pour conclure, quels messages aimerais-tu laisser aux détenus apprenants d’Auxilia et à leurs formateurs bénévoles ?

Merci à toi Stéphane, merci à vous tous, de me donner cet espace d’expression et de partage !
Aux formateurs-enseignants d’Auxilia, je n’ai qu’un seul mot à dire : MERCI ! Mais j’aime bien la chantilly et les cerises alors je rajoute que c’est encore et toujours un authentique plaisir d’échanger avec vous. Je vous dois beaucoup, au point qu’il me manque bien des mots... Vous êtes un troisième poumon pour bien d’entre nous qui vivons cette épreuve comme une course vers la vie. Soyez-en sûrs, vous apportez bien souvent plus qu’une bouffée d’air frais, c’est de la réanimation qu’il s’agit ; pas tout à fait du massage cardiaque, mais du message qui remet d’attaque ; pas tout à fait du bouche-à-bouche, mais bel et bien du plume à plume...
Aux détenus, apprenants ou pas : il faut saisir les opportunités qui s’offrent à vous les gars : saisissez et agissez ! Soyez acteurs de votre vie et cessez d’être spectateurs, de la télé notamment, écrivez des textes, des chansons, dessinez, créez... Devenez vous-mêmes. Laissez le chaos de votre ancienne vie derrière vous ou nourrissez-vous-en. Laissez vos ailes se déployer et devenez des êtres libres ; entièrement libres.

Merci tout particulièrement à Alain, Christian, Nathalie, Bérangère, Madame B. Et une mention très très spéciale à Madame T !

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