Actualités

01/04/2021

Comment donner le goût de la lecture ?

C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris la disparition de notre formatrice bénévole Mme Picq.

 

L’apprentissage et le réapprentissage de la lecture étaient ses terrains de jeux préférés. Elle a été enseignante dans le public et le privé auprès d'enfants et d'ados présentant des troubles du caractère et du comportement.

Elle a terminé sa carrière en tant que directrice d’une école pour enfants polyhandicapés.

Madame Monique Picq a rejoint Auxilia en 2011 et elle est restée très prèsente jusqu'à ses derniers jours. Nous souhaitons lui rendre hommage en republiant une interview très intéressante et utile qu'elle nous a accordée en 2017.

 

INTERVIEW

par Marija Marcelin

Mme Picq, parlez-nous de vos expériences autour de l’apprentissage de la lecture...

L’apprentissage de la lecture fut (et reste) l’une de mes passions. Inconditionnelle de la méthode gestuelle, "mes" CP ont été des classes pleines de vie, avec la participation du corps (très appréciée quand on a 6 ou 7, ou 8 ans).  On chantait les lettres pour les nommer, puis pour les « accrocher » On les dansait aussi… Un régal !
Avec à la méthode gestuelle, la dyslexie et la dysphonie restaient à la porte de la classe. Par la suite, le goût de lire allait de soi.

Les apprenants d’Auxilia ne sont plus des enfants. Comment faites-vous pour les motiver, leur donner envie de lire et d’apprendre ? Qu’est-ce que vous leur proposez ?

Oui, chez Auxilia, les élèves ont changé : Ils sont adultes, blessés, enfermés, et la communication n’est qu’épistolaire. De surcroit ils sont fermés à tout effort intellectuel (à quoi bon faire un effort ?) Ils n’ont jamais ressenti le plaisir d’apprendre, car ils ne l’ont jamais connu… Alors, comment leur donner ce goût si précieux de lire ?
Dans le groupe apprentissages fondamentaux (cycles 1 et 2), j’ai rencontré deux types d’apprenants : « Je n’aime pas lire » et « Je lis un peu ».
J’essaie de « concrétiser » l'activité lecture pour en donner le goût de la lecture à ces jeunes qui sont adultes enfermés et qui ont eu une scolarité de « bric et de broc »..  En effet il me semble que de la rendre « réelle » en la faisant percevoir par le visuel des tableaux, la rendra plus attrayante, donc peut-être plus convaincante, car plus accessible.  Pourquoi « concrétiser »  ? Pour essayer de donner vie à cette activité en les rendant acteurs, donc actifs, eux qui ont une motivation au point mort.  Je sais que je ne vais pas les convaincre avec des mots et que rien ne vaut l’expérience. Ils doivent réaliser eux-mêmes « Pourquoi ça vaut le coup de lire ? ».
D’abord pour « créer l’ambiance » ce seront des petites lectures de blagues, appréciées par tous, et qui ouvrent sur les domaines de la grammaire, orthographe, conjugaison ! J’insiste sur le niveau scolaire de mes apprenants, car la « méthode » serait différente pour des niveaux supérieurs.
Puis ils vont être auteurs de leurs écrits. (Puisqu’ils ne veulent pas s’intéresser aux écrits des autres).
En fonction de leurs intérêts ils vont remplir des bulles de BD ou terminer des phrases ou inventer des conclusions de textes pour ENFIN ! arriver à une expression écrite sur un sujet de leur choix. Quelques petites suggestions seront peut-être nécessaires pour certains. Ce dernier travail nous éclaire beaucoup sur la personnalité de l’apprenant. Des confidences « éclatent » parfois.
Puis un grand final, le sujet sera imposé. Mais attention ! Certains bloquent sur l’écrit. Il faut être prudent, ne pas insister, attendre le déclic qui arrive toujours au moment où on ne l’attend pas.

Dès la première bonne production réalisée, je demande l’accord de l’auteur pour la transmettre à l’extérieur. (Présenter leurs écrits par exemple, auprès d’enfants handicapés lesquels à leur insu deviennent un moteur !). C'est alors que l'apprenant devient IMPORTANT - son travail est reconnu (peut-être pour la première fois?) ... et un PARTAGE est établi.

À chaque étape ils seront invités à remplir un tableau où ils pourront noter tous les nouveaux mots, les découvertes – ce sera le constat visuel de leurs productions.
Puis ils vont lire des textes écrits par quelqu’un d’autre, un auteur, et encore sur un tableau, ils se rendront compte que ce dernier est bien rempli ! Ils le constatent.
Alors ils admettent que ça vaut la peine de lire. Ils en ont compris le bénéfice. Et la décision est prise : On va lire ! Mais quoi ?

Comment choisissez-vous les textes pour vos apprenants ?

La question du choix du texte est primordiale. Ces textes doivent piquer leur curiosité, susciter et maintenir leur intérêt avec le SUSPENSE qui tire en avant les plus « paresseux ». Le TITRE est un « appât » s'il promet déjà de l’action, des émotions, des "ailleurs" etc.
Exemple : Les Indiens peaux rouges – L’évasion, – La fête étrange – La révélation, — L’escapade, — Sauvée, — L’île aux chevaux…
Chaque texte est accompagné d’un questionnaire s’y rapportant. Et… cerise sur le gâteau, certains questionnaires se prolongent par une demande de l’apprenant lui-même, de recherches d’informations, connaissances générales…
Exemple : un texte sur Notre Dame de Paris se prolonge sur « comment était la vie au Moyen-Âge ? ». 
Une fois, pour me faire plaisir, j’ai proposé  « Le Petit Prince », mais mon égoïsme a payé !
« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ! »
- Qu’est-ce que ça veut dire ? - me demande l'apprenant très surpris de lire ces phrases. Ce fut un grand échange !
« Découvrons le monde » marche bien avec la Polynésie ou l’Islande, avec une suite très souvent sur d’autres pays.
Gagné ! L’envie de lire, car l’envie d’apprendre !
Là je suis boostée ! Et encore au-delà, si à leur sortie, il y a une inscription dans une bibliothèque !

Le but est atteint si l’apprenant a compris que LIRE c’est non seulement découvrir, s’évader, avoir des émotions joyeuses ou tristes, vivre des rêves d’aventures, vivre de l’extra-ordinaire, mais aussi que LA LECTURE lui apprend à penser, à juger, qu’elle contribue à sa formation intellectuelle, morale, esthétique et que LA LECTURE EST SOURCE DE PLAISIR.

Merci Madame Picq. Souhaitez-vous ajouter quelques mots en conclusion ?

Mes propositions sont faites à petits pas avec prudence: il faut prendre le temps « d'apprivoiser » l'apprenant. Pour cela il faut :

  • attendre qu'il soit convaincu de l'utilité et du plaisir de la lecture
  • lui redonner confiance en lui par une valorisation de son travail (ex: le partage à l'extérieur). Il n'est plus solitaire. D'autres yeux le regardent et l'apprécient.
  • lui laisser la liberté de ses choix: "c'est lui qui mène la barque..."

Hélas! Le temps manque pour arriver à la finale.
Il est très rare que la scolarité se poursuive après une libération.

 

Partager :  

Les derniers articles