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09/04/2021

Ils soutiennent Auxilia - Yacine Yahiaoui

Yacine Yahiaoui, ex-détenu : « Il ne faut jamais décevoir celui qui vous a tendu la main »

La détention, grâce à de belles rencontres, lui a fait découvrir avec passion la littérature et la peinture. À sa sortie de prison, Yacine a trouvé sa place dans la société en travaillant dans les musées.

N’oubliant pas les mains tendues qui lui ont redonné confiance en lui et dans les autres, il a décidé à son tour d’aider les personnes en difficulté en devenant médiateur social. Nous vous invitons à lire cet entretien qui nous présente un parcours de reconstruction exemplaire.    

 

INTERVIEW

Par Stéphane d'Auxilia

Bonjour Yacine. Quelles sont les difficultés des premiers mois de prison ? En quoi cela s’apparente-t-il à un vrai traumatisme ?

Avant d’arriver en détention, comme tous les prisonniers, tu sors d’une garde à vue épuisante. Tu entends un fond sonore qui annonce la détresse et ça te fait peur : les voix qui résonnent, les talkies-walkies qui fonctionnent en permanence, les portes métalliques qui claquent sans cesse ! Tu réalises que tu rentres dans un univers inconnu et que tu ne sais pas ce qu’il va t’arriver. Tu penses à ta famille que tu as laissée dehors dont tu n’as aucune nouvelle. On sait par d’autres détenus qu’il faut attendre minimum 3 mois pour espérer voir un proche et on se sent perdu. Ce sont les moments les plus terribles. Beaucoup craquent durant les premiers mois.

Quels sont les éléments qui t’ont permis de tenir le coup moralement ?

D’abord, le fait de savoir que ma femme et mes enfants allaient bien, qu’ils s’organisaient sans ma présence et qu’ils étaient bien entourés. Parce que mon moral dépendait du leur : s’ils coulaient, je coulais ; s’ils allaient bien, j’allais très bien. Par la suite, pour tenir dans ce milieu qui étouffe et qui rend fou, il faut s’occuper sans relâche et encore mieux, s’accrocher à quelque chose et se donner un sens. Certains font du sport pour transformer leur corps, d’autres de la peinture pour oublier — pour moi c’était la lecture. Ça m’a aidé à m’échapper, mais plus encore à me remettre en question ; à comprendre le monde et, le plus difficile, à me comprendre moi-même !

Comment as-tu réussi à travailler dans l’univers des musées à ta sortie d’incarcération ?

C’était lors d’une toute première expérience en France, durant laquelle des détenus avaient la responsabilité d’être commissaires le temps de l’exposition « Le Voyage » avec des œuvres prêtées par les plus grands musées. L’évènement qui a été médiatisé a eu comme public les familles des détenus et des surveillants et même la ministre de la Justice de l’époque, Christiane Taubira. Ce musée à l’intérieur de la prison avait été créé à l’initiative de Pascal Vion, directeur du centre pénitentiaire de Réau, en Seine-et-Marne, et de Jean-Paul Cluzel, alors président de la Réunion des musées nationaux. C’est à cette occasion que j’ai été repéré par ce dernier qui m’a proposé d’abord un stage, suivi d’un long CDD, ce qui m’a permis de préparer ma sortie. Plus tard, c’est un autre homme, Laurent Le Bon, l’actuel président du musée Picasso, qui m’a proposé un autre travail. Sans la rencontre de ces deux personnes qui ont su prendre des risques en tendant la main à un ancien détenu, je n’aurais certainement pas aussi bien réussi ma réinsertion.

Pourquoi est-il si important pour toi de témoigner maintenant de ton expérience ?

Parce qu’au début je n’y croyais pas ! J’avais aussi des préjugés sur la société et surtout sur ses élites et leurs privilèges. Jamais je n’aurais pensé que des dirigeants d’institutions aussi prestigieuses prêtent attention à quelqu’un comme moi. J’ai compris avec le temps qu’il suffit de se parler pour se comprendre. Mais cela se mérite par la loyauté, le respect, le travail, la rigueur, etc. : il ne faut jamais décevoir celui qui vous a tendu la main, ce sont des valeurs essentielles pour avancer dans la vie.

Quels sont tes projets pour les prochains mois ?

J’ai quitté l’univers des musées pour me lancer dans une activité de médiation d’actions culturelles citoyennes. J’interviens auprès des SPIP (Ndlr : services pénitentiaires d’insertion et de probation), fondations d’entreprises, services civiques, universités et associations diverses. Malgré la crise sanitaire, je voudrais élargir mon public et diversifier mes interventions. Je pense aussi qu’il serait extrêmement positif que je partage mon expérience directement avec les prisonniers au sein des établissements pénitentiaires. Mais force est de constater que mon étiquette d’ancien détenu me colle à la peau…ce qui est regrettable car ma singularité et mon parcours sont un atout dans le domaine de la prévention de la récidive et sont un exemple pour des jeunes qui n’ont pas l’espoir de s’en sortir.

Pour conclure, quels messages souhaiterais-tu laisser aux formateurs bénévoles d’Auxilia et aux apprenants détenus d’Auxilia ?

Les formateurs bénévoles font un travail essentiel et remarquable pour accompagner les jeunes détenus. Je souhaite qu’ils aident leurs apprenants à réfléchir sur le fait que le grand combat de la vie passe avant tout par eux-mêmes et que rien n’est impossible quand on a de la volonté.

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