Actualités

04/10/2022

Le numérique en détention : il est temps d'agir

Engagée depuis plus de 60 ans dans la formation à distance des personnes détenues, Auxilia mesure au quotidien combien l’initiation et l’accès encadrés et sécurisés aux outils numériques permettraient à davantage de personnes détenues de se former mieux, de réaliser leurs démarches administratives et de mieux préparer leur sortie et leur réinsertion.  

 

Or, tandis que la dématérialisation des démarches administratives provoque des ruptures de droit dans l’ensemble de la population[1], le fait de tenir la population carcérale éloignée du numérique revient à placer des obstacles supplémentaires sur le chemin de la réinsertion. 

 

Le numérique permet d’élargir l’accès à la formation des personnes détenues  

 

Pendant le confinement, les partenaires associatifs de l’Administration pénitentiaire avaient souligné le fait que 15% à peine des personnes détenues étaient en mesure de suivre une formation. En 2021, Auxilia avait déploré un statu quo par rapport à cette situation alarmante Situation qu’elle s’efforce de pallier en accompagnant environ 2000 apprenants par correspondance 

 

Pour engager la numérisation de ses formations, notre association a rejoint dès 2018 un groupe de travail sous l’égide de la FARAPEJ[2] et avec le soutien financier de l’Afnic puis de la fondation M6. L’objectif : imaginer et mettre en œuvre des contenus de formation digitalisés.  

 

Aujourd’hui, 30 modules de vidéos courtes accompagnées de fiches pratiques et de quizz en ligne sont prêts à être déployés dès que l’expérimentation « Numérique En Détention » (NED) portée par le ministère de la justice dans quelques établissements sera généralisée. Adaptés à la situation de nombre de personnes incarcérées peu à l’aise avec l’écrit, ces contenus animés et illustrés pourront par exemple faciliter leur recherche d’emploi, les guider dans la gestion de leur budget ou les conseiller sur les questions de santé. 

 

D’ores et déjà, les formateurs du pôle ESRP (Établissement et Service de Réadaptation Professionnelle) qui a lancé un dispositif similaire en direction des travailleurs reconnus handicapés attestent de son efficacité. Les vidéos demandent aux apprenants une concentration de courte durée. C’est pourquoi les apprenants retiennent 65% du contenu d’une vidéo après 3 jours contre 10% d’un texte.   

 

L’informatique facilite les démarches administratives et le quotidien carcéral  

 

Hors les murs, la transformation numérique de l’administration et des services publics a été menée au pas de charge, avec le risque avéré de voir se creuser la fracture numérique. Si pour beaucoup, quelques clics suffisent pour :

  • déclarer sa situation auprès de Pôle emploi ou du site Ameli, 
  • renouveler sa pièce d’identité,
  • faire une demande de logement social,

la fracture numérique devient une réalité pour les personnes détenues.  

 

En effet, en détention, toute demande ou démarche passe obligatoirement par le papier et lui seul. La recherche de travail continue à se faire via les moyens du bord (l’annuaire papier des pages jaunes, par exemple !) Quant aux autres démarches, elles restent lentes, voire chaotiques à effectuer, car elles nécessitent, à chaque étape, l’aide de personnes extérieures. 

 

Pourtant, les premiers retours d’expérience du « Numérique En Détention » à Melun, Strasbourg et Dijon font état de progrès indiscutables pour les personnes condamnées qui ont accès aux tablettes numériques (non reliées à Internet). Elles peuvent ainsi consulter leur compte nominatif, alors que, dans le reste des établissements pénitentiaires, il est nécessaire de passer par le personnel pour connaître le montant disponible sur son pécule. Les tablettes renseignent les personnes détenues sur leur solde cantinable, ce qui permet à ces dernières de passer commande directement.  

 

Une telle simplification de la communication et du traitement des informations mérite sans conteste d’être élargie, d’autant que l’expérimentation, au-delà des améliorations suscitées, confirme la gravité de la fracture numérique dont souffre la population carcérale. 

 

La privation de numérique crée un obstacle supplémentaire à la réinsertion 

 

C’est pourquoi Auxilia a rejoint le collectif autour de l’OIP, au côté d’autres associations et organisations, pour défendre le droit fondamental des personnes détenues à l’accès au numérique[3]. Pour Alain Petiot, président d’Auxilia, « on installe des tablettes en prison, mais énormément de personnes ne savent pas s’en servir. Quelqu’un qui a du mal avec l’écrit aura encore plus de mal face à un écran. Alors qu’une personne en situation d’illettrisme trouvera toujours un moyen de contourner les difficultés avec l’écrit papier, avec le numérique les solutions de contournement disparaissent »[4] 

 

En d’autres termes, la seule mise à disposition d’outils numériques, encore très embryonnaire dans l’univers carcéral, doit impérativement être accompagnée d’une initiation ou formation, sous peine d’aggraver une technophobie qui n’est pas forcément liée à l’illettrisme. Devant un portail internet administratif, la peur de se tromper et de valider des informations erronées concernant leurs droits et leur parcours d’insertion paralyse les personnes incarcérées qui ont parfois vécu loin de la transformation numérique. 

 

 

 

[1] Vie-publique.Fr : Défenseur des droits : une forte hausse des réclamations en 2021  

[2] FARAPEJ : : Développer l’accès à Internet et au numérique en prison 

[3] Campagne collective des acteurs du monde prison-justice pour l’accès à Internet en prison

[4] Observatoire International des Prisons : « Numérique en détention » : vers de petites améliorations pour les détenus ? 

Partager :  

Les derniers articles