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10/09/2016

Réinsertion-réacculturation

LONGUES PEINES (5 ans et au-delà)

 

Le parcours carcéral d’une personne détenue  devant exécuter une longue peine passe par plusieurs étapes que l’on peut rapidement schématiser.

L’entrée en détention en maison d’arrêt est le lieu de la découverte d’un espace qui devient lieu de vie dans une structure définie par : son mode de fonctionnement, sa manière de vivre, son expression verbale, son vocabulaire, ses codes.
La personne doit alors s’adapter, trouver le bon rapport avec le personnel pénitentiaire et les autres personnes détenues. Tout cela demande l’acquisition d’une culture, d’un équilibre parfois difficile à trouver selon le délit.  Il s’agit de s’intégrer en s’acculturant.

On peut définir la culture comme une manière de vivre son quotidien avec toutes ses contraintes en lui donnant un sens. Le sens c’est le niveau des valeurs. Nous nous situons dans un univers de contraintes au sein duquel il faut vivre, et pour y vivre, on doit lui donner un sens. La culture est une forme d’"écosystème’’, une enveloppe dans laquelle la vie s’expérimente et se déploie. Elle est l’expression d’une manière de vivre, de s’approprier et de gérer l’espace et le temps.
Il existe une culture carcérale étrangère au détenu primaire. Le passage éventuel en CNE (Centre National d'Évaluation) et l’arrivée en Établissement pour peines ont façonné la personne qui a intégré cette culture différente de celle  qui était la sienne.

En ayant accompagné des familles en groupe de paroles, on s’aperçoit que les proches et les enfants qui fréquentent le parloir intègrent aussi des éléments de cette culture qui parfois les stigmatisent dans leur milieu de vie (quartier- école). Petit à petit ces éléments de culture carcérale ont pétri la personne qui s’est adaptée à ce genre de vie ‘’extra-ordinaire’’.

Le retour à la vie ordinaire doit passer par une redécouverte de celle-ci, celle du dehors.
Il faut réactiver les cinq sens, la vue (retrouver des perspectives), l’odorat (chaque prison a son odeur), l’ouïe (sortir des bruits familiers de la prison), le toucher, le goût. L’expérience nous a montré qu’une journée de permission accompagnée permet d’entamer cette démarche, et, en tant que visiteur certaines personnes n’hésitent pas à nous le demander, et ce avant une permission famille. Ils veulent se faire une idée de ce qu’est devenu le dehors qu’ils ont connu.
La démarche consiste essentiellement  en une prise de contact avec la circulation urbaine, l’ouverture de perspective visuelle sur l’autoroute, la nature, les bruits de la ville. Le passage dans un centre commercial permet de retrouver le goût d’un vrai café, les fragrances d’un magasin de parfumerie, les odeurs de fromage, de poisson, les lumières publicitaires, l’abondance de produits proposés à la vente, marcher dans une foule, la redécouverte des dernières technologies, pouvoir toucher ce que l’on souhaite acheter comme un vêtement, choisir un dentifrice ou des produits d’hygiène et un repas dans un restaurant. Prendre conscience du prix des choses en les touchant ou en les  regardant tout en faisant le lien entre le prix et un salaire horaire accessible lors de la sortie.  Retrouver sans entraves des gestes du quotidien dans un monde qui ignore qui vous êtes.
Cette première démarche peut se poursuivre par la découverte du beau comme la visite d’un musée (visite dont ils ne prendront pas l’initiative) et dans ce contexte les réactions positives peuvent être surprenantes. La journée se termine par un retour à l’établissement pour peines.
Lors de la relecture la semaine suivante il ressort que la personne est rentrée épuisée, qu’elle a pris conscience que la vie dehors aurait des côtés plus exigeants que la vie dedans et qu’une sortie, même si elle est ardemment souhaitée sera difficile.
Cette première permission qui doit être longuement préparée en amont avec le visiteur et le CPIP permet d’approcher pour la personne concernée le principe de réalité et de regarder l’avenir d’une manière plus concrète dans un marché du travail difficile.
Il faudra quitter ses habitudes carcérales quelque part protectrices et se ré-acculturer à la vie quotidienne ordinaire avec un passé parfois difficile à porter, en un mot se reconstruire dehors. Notre expérience d’employeur de semi-liberté nous a confortés dans ce genre de préparation à la sortie.

La réinsertion passe par la ré-acculturation.
Cet aspect n’occulte pas les difficultés de la reprise de la vie de famille quand elle existe encore. La ré-acculturation progressive est un des éléments qui prépare la sortie soit en aménagement de peine, soit définitive. Il s’agit ici de quelques points qui peuvent être développés dans le cadre d’une réflexion plus large sur le « parcours carcéral » qui doit se vivre dans une dynamique du provisoire.

 

Article publié dans La Lettre d'Auxilia N°11 septembre 2016

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