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Pause Lecture : Je suis dehors - Elvire EMPTAZ
Elvire EMPTAZ est journaliste, spécialisée depuis 14 ans sur les questions des droits des femmes et de l’égalité des genres. Elle nous emmène à la découverte de ce qu’elle appelle un «angle mort de la politique carcérale », à savoir la sortie de prison, et tout particulièrement celle des femmes. Pour comprendre cette vie après la « libération », qui en est rarement une, il faut remonter le temps : la prison, la condamnation, le procès, les faits à l’origine du procès et tout autant la vie d’avant.
Ce sont ici 14 tranches de vie, souvent cabossées, qu’elle nous partage.
A travers dix thématiques (la peur, le corps, les médicaments, l’hygiène, l’apparence, le travail, l’espace, la maternité, les proches et l’amour), nous approchons ce que ces 14 femmes (5 encore incarcérées, 9 sorties de prison) sont, ressentent, vivent, avant, pendant et après une incarcération dont la durée peut aller de quelques mois à plus de 20 ans.
Les femmes ne représentant qu’environ 3% des personnes incarcérées. Elles n’intéressent pas grand monde : on ne dispose que de très peu d’études ou de statistiques sur elles.
L’autrice redonne une voix à ces femmes, sans prétendre à une analyse scientifique, exhaustive et définitive. Elvire EMPTAZ nous permet de sortir de visions simplistes sur les femmes détenues. Elle parle d’êtres humains dont les parcours familiaux, géographiques, professionnels, judiciaires sont différents.
Ce qu’elle décrit de la prison concerne les hommes et les femmes détenues.
Un lieu où :
- on n’est qu’un matricule, où on n’est maître de rien, de son temps, de son corps, de sa vie, où l’Administration pénitentiaire décide de quand ce corps pourra regarder, toucher, bouger, manger, se laver.
- l’horizon est limité.
- nombreux sont ceux qui s’abrutissent de médicaments (les femmes plus que les hommes ?) pour survivre et ne pas voir le temps passer.
Mais aussi, un endroit où l’on peut :
- apprendre, se former, travailler, lire (« se plonger dans la vie des autres pour oublier la leur »).
- se sentir protégé, retrouver le calme, se reconstruire, faire de l’épreuve une occasion de rebondir.
S’ajoutent à cela, pour les femmes, des problématiques spécifiques :
Les femmes détenues sont moins visitées que les hommes. Les files d’attente de parloir sont plus longues devant les prisons d’homme. Le nombre réduit d’établissements pénitentiaires pour femmes, implique des transferts parfois loin des proches, géographiquement. Il peut y avoir le souhait des femmes de couper les ponts. Les hommes semblent plus prompts à abandonner leur conjointe incarcérée.
Être mère avant l’incarcération, accoucher en détention, retrouver ses enfants en fin de peine... sont autant de situations potentiellement difficiles à vivre. Elles doivent aussi continuer à représenter une certaine image ; « montrer que l’on s’occupe de soi, c’est exprimer la volonté de tenir et d’avancer ».
Elles doivent faire face aussi à des difficultés matérielles : certaines n’ont pas les moyens de se procurer des protections périodiques.
Qu’elles aient été incarcérées 6 mois ou 20 ans, retrouver l’extérieur est souvent difficile. On parle de choc carcéral à l’entrée en prion. Devoir reprendre à la sortie la gestion de son temps, de son corps, de sa vie, peut aussi être un choc de la même magnitude. Certains gestes de la vie quotidienne doivent être réappris, comme ce robinet qu’il faut fermer alors qu’on a passé des années en prison à appuyer sur un bouton poussoir. C’est la réappropriation de l’espace : après avoir été incarcérée seul ou à plusieurs dans une cellule de 9m2, retrouver ses marques dans un appartement, même à peine plus grand, peut relever de l’exploit. C’est aussi la crainte de retrouver des situations qui risquent de reproduire les mêmes effets : comment sortir de la répétition de relations conjugales toxiques, sans qu’on se soit engagé en détention dans une réflexion approfondie sur soi avec l’accompagnement de psychologues, de médecins ? Un travail sur soi qui doit se poursuivre à la sortie.
Comme les hommes, les femmes ont du mal à faire table rase de leur passé délinquant, aussi bien vis-à-vis de l’extérieur que dans leur tête. Le droit à l’oubli n’existe pas. Internet est un véritable fil à la patte : on y trouve facilement un article relatant les faits ou le procès. A cela s’ajoute les emplois interdits en raison d’un casier judiciaire fourni et difficile, voire impossible, à blanchir. On retrouve fréquemment chez ces femmes une forte culpabilité, même après avoir purgé leur peine. Ce sentiment les amène à refuser de profiter des temps en dehors du travail et avoir des difficultés à créer du lien social.
50% des femmes incarcérées seraient mères. La relation aux enfants est particulièrement difficile. Nés avant la condamnation, quelle est leur réaction face aux agissements de leur mère, dont ils peuvent d’ailleurs avoir été témoins et qui peuvent les concerner directement (20% des détenues le seraient pour crimes commis au sein de la famille) ? Par qui et comment ont-ils été pris en charge pendant la détention (conjoint, parents, Aide sociale à l’enfance...) ? La visitent-ils en détention ? Comment assurer son rôle de mère en détention ? Se retrouvent-ils en fin de détention ? Comment retrouver à la sortie une adolescente alors qu’on l’avait laissée bébé ? Il n’y a pas de règle. Femmes enceintes ou mères de jeunes enfants en prison, elles sont aussi confrontées à des conditions particulières. Elles peuvent garder leur bébé avec elles jusqu’à l’âge de 18 mois. Le faible nombre d’établissements pouvant les accueillir peut rendre nécessaire le transfert vers un autre établissement, ce qui peut être une autre cause d’éloignement des proches.
« Je suis dehors » est un livre dense. On ne sort pas indemne de cette lecture. Il permet au lecteur de dépasser a priori, de l’image de la femme incarcérée en raison d’un infanticide, d’entrer dans des parcours de vie faits de violences (viols, violences conjugales) souvent répétées et vécues depuis l’enfance. Une lecture salutaire !
On notera la préface de Leila SLIMANI, l’une des plus brillante écrivaines du moment dont les prises de position dans le débat public sont toujours empreintes de finesse, de bienveillance et d’intelligence. On sait qu’elle est marraine de l’association « lire pour en sortir ». On sait moins que son père a été incarcéré au Maroc quand elle avait 20 ans, qu’elle a ainsi découvert le monde de la prison, « à la fois un lieu où l’on dépérit et une forteresse qui protège d’un dehors où [les femmes] sont victimes d’abus et de violences ».
Jean-Claude Granier
Le 20 février 2024
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